Revue de presse

Lakhdar Rekhroukh, PDG de Cosider : « La crise peut être une aubaine pour les entreprises algériennes »

Lakhdar Rekhroukh est PDG du groupe public de BTP Cosider. Il est également président de l’Union nationale des entrepreneurs publics (Unep). Dans cet entretien, il s’exprime sur la conjoncture économique algérienne, marquée par un début de crise budgétaire, la baisse du dinar, les questions autour de la durabilité des subventions, la dépénalisation de l’acte de gestion et le gel de certains projets d’infrastructures.

Le gel de certains projets impacte-t-il Cosider et les entreprises du BTP ? Certains projets inscrits et attribués semblent compris…​

C’est vrai qu’avec la baisse des cours du pétrole et de la fiscalité pétrolière, le budget de l’État en termes d’investissements devra nécessairement baisser. Il semble que les projets qui ne sont pas réellement d’une utilité urgente et qui peuvent être reportés devraient l’être. Mais les projets qui sont lancés ne sont pas touchés, du moins à ce jour. Nous n’avons subi aucune perturbation sur les crédits de paiement, ni sur les autorisations de programme. Nous sommes loin de la situation des années 1990, lorsque même des projets en cours de réalisation ont été gelés.

Mais il est clair que l’État va être plus regardant sur la dépense publique d’investissement. Il y aura une gestion plus rigoureuse et plus prudente sur certains projets. Mais je reste très optimiste : avec cette baisse des rentrées en devise, l’État a décidé de limiter les importations et nous sommes persuadés que l’on va prioriser réellement l’outil national. On commence à le voir sur le terrain !

Beaucoup de projets de moyenne dimension sont réservés depuis un certain temps aux entreprises nationales. Cela s’est fait avec le Code des marchés publics de 2013 et ça se confirmera avec le nouveau Code des marchés publics à venir.

Pour les grands projets qui étaient consacrés aux entreprises étrangères, je considère que l’on a assez d’expérience pour prendre en charge ces projets. Avec la nouvelle réglementation, l’on a revu aussi la loi concernant la constitution de groupement, pour faire face à ce genre de projets, qui ne peuvent pas être allotis.

Je me permets donc de penser que l’État a pris ses dispositions pour consacrer, sauf quand cela est nécessaire, les projets à l’outil national. Du coup, malgré une baisse globale du plan de charge, on sentira moins la crise. Pour certaines entreprises, cela pourra être une aubaine.

Où en est le projet du nouveau Parlement ? Fait-il partie des projets gelés ?

Ce projet est une réflexion. Un beau projet au Ruisseau [quartier d’Alger, NDLR] qui meublerait bien la région d’Hussein Dey, avec le tramway etc. J’espère, pour le bien d’Alger, qu’il pourra être réalisé. La consultation a été faite il y a 3 ans, mais la décision de lancement effective ne semble pas avoir été prise. Mais cela n’a rien à voir avec la situation économique. Cosider a été choisi, avec son partenaire Vinci, avec la meilleure offre technique. Mais nous ne pouvons pas communiquer sur les détails.

En période de crise, quel avenir pour le secteur public qui vit grâce à la commande publique et aux subventions ?

En réalité, les entreprises ne sont pas directement subventionnées par les pouvoirs publics. Ce sont les produits qui bénéficient d’un soutien des prix, sinon le citoyen n’y aurait pas accès aux prix actuels. Mais de nombreux experts se sont exprimés sur la question de la viabilité des subventions. La question se pose. À long-terme, ce n’est effectivement pas tenable, il faudra revoir comment réduire le poids des subventions ou comment les « diluer ».

Il n’y a pas de subventions dans le secteur des BTP. D’ailleurs, il n’y a aucune différence dans l’octroi des marchés, surtout en matière des prix. Dans les travaux publics, partout dans le monde, ce sont les investissements publics, notamment dans les infrastructures, qui tirent la demande. Je vous répète que l’outil nation va bénéficier d’une bonne partie de ce qui sera mis sur le marché. L’un dans l’autre, il ne sentira pas réellement cette baisse de l’investissement dans le BTP.

La baisse du dinar a-t-elle un impact sur l’économie et l’entreprise ?

Je dirais que la baisse du dinar est un mal nécessaire. Il faut bien que cela reflète la réalité des choses. Pour les entreprises, certains intrants, y compris pour les produits locaux, vont connaître une inflation relative.

Faut-il revoir le mode de financement des investissements dans les infrastructures, notamment à travers le partenariat public-privé (PPP) ?

Il faut que l’on travaille sur le concept juridique et sur la législation algérienne pour ouvrir ce mode de financement PPP. L’on peut avoir recours aux concessions, par exemple sur les autoroutes : nous pouvons former des consortiums qui vont étudier la faisabilité, le coût de réalisation et la partie commerciale (étude de trafic, de rentabilité…).

Mais il faut que les banques suivent, car l’on n’a pas de crédits à long terme en Algérie. On ne les obtient qu’à moyen terme.

Peut-on réaliser des logements de qualité avec des matériaux 100% locaux ?

Dans le bâtiment, lorsqu’on parle de gros œuvre, nous n’avons pas le droit de parler de qualité. Dans le sens qu’il y a des règles de l’art. Il n’y a pas plus ou moins de qualité. Il y a la qualité, point. Il y a des normes de réalisation de la structure (gros œuvre) que tout le monde doit respecter.

Ensuite, pour les corps d’état secondaires, c’est difficile de prétendre avoir la meilleure qualité chez nous. Vous pouvez avoir le meilleur marbre en Turquie, le meilleur bois en Italie… Mais si l’on prend un bâtiment de référence qu’est le logement social (qui consomme le plus), l’on n’importe pas ou très peu de matériaux de construction.

L’Algérie réalise des investissements dans le rond à béton et pour privilégier l’aluminium et le PVC au bois que l’on ne peut pas produire. Après, en termes de qualité, ça dépend si l’on se place du point de vue de l’esthétique ou de la fonctionnalité. Cela dit, le PVC répond à toutes les normes et l’on ne joue pas avec ça [avec les normes de qualité, NDLR]. Ensuite, il y a des instructions pour privilégier et prioriser le matériau fabriqué en Algérie dès que possible.

Avez-vous lancé les travaux de réalisation de la ligne de métro El Harrach – Bab Ezzouar ou le projet est gelé en raison de la crise économique ?

Oui, le projet est en cours et je suis prêt à vous le faire visiter !

​Êtes-vous satisfait de la décision du gouvernement de dépénaliser l’acte de gestion, et va-t-elle assez loin ?

Dans ce genre de situation, aucune partie n’est vraiment satisfaite à 100%. Je considère qu’il y a eu une très grande avancée tout de même. Mais cette dépénalisation est une avancée, car on supprime le risque des lettres anonymes infondées. Aujourd’hui, l’action publique n’est mise en mouvement que sur demande des organes sociaux, c’est-à-dire le Conseil d’administration. Ça libère les initiatives, même si ça prendra du temps pour reprendre certains réflexes. Jusqu’à aujourd’hui, l’on était plus dans la préservation de soi, en pensant à justifier son acte, plutôt qu’à la portée économique de son acte de gestion. Maintenant, s’il y a une action en justice, c’est que le Conseil d’administration a agi en connaissance de cause pour juger s’il s’agit une erreur, une faute de gestion ou un acte délictuel.

Je dirais que, par rapport à ce qui est demandé au cadre gestionnaire de l’entreprise publique, il y a encore à faire. Il est gravé dans nos esprits qu’il s’agit des deniers de l’État et on ne donne pas un « chèque en blanc », mais il faut rediscuter de la gestion des capitaux marchands. Peut-on assimiler les capitaux marchands à l’argent du Trésor public ? Tout le débat tourne autour de cela.

On demande au gestionnaire public d’avoir les mêmes rendements et d’être aussi performant que la concurrence. Et la concurrence c’est quoi ? C’est le secteur privé, quand il y a du privé national, et pour les entreprises d’une certaine envergure, la concurrence est surtout étrangère. Pour obtenir les mêmes performances, il faut pouvoir travailler dans les mêmes conditions. Mais ce n’est pas seulement la dépénalisation de l’acte de gestion ! Ça va de la liberté d’action, le pouvoir que l’on donne au gestionnaire (elle est généralement assez large) à la question de la rémunération, c’est-à-dire comment capter les meilleures compétences. Or, il y a toujours un amalgame entre gestionnaire public et la Fonction publique, ce qui ne libère pas le gestionnaire.